Ce petit matin de février s'annonçait,
comme hier, sec, enfin.
Se lever plus tôt que l'heure
habituelle, parce qu'il me faut être au collège avant huit heures.
Les réveils sont de plus en plus durs, au fur et à mesure qu'on
s'achemine vers la fin de la période de cours. Vacances en vue...
Mais ce petit matin de février a déjà une odeur de vacances. Se
diriger allègrement vers le portail, vers l'au delà de ce portail
symbolique où nous attendent les élèves. Il est quelques minutes
avant huit heures, et pour l'instant seuls la moité d'entre eux et
d'entre elles sont là. Chaïmae fait une arrivée à la fois
discrète et remarquée, elle est particulièrement soignée et
apprêtée ce matin. C'est jour de sortie, ils et elles sont
contents, même s'ils ne le montrent pas trop, et moi aussi. Un petit
mot à Chaïmae pour lui dire qu'elle est très chic, elle apprécie
d'un « merci madame » accompagné de son petit sourire de
travers, la tête penchée. Pas d'agressivité chez aucun d'entre eux
ce matin, on va hors les murs. Appel fini, les retardataires sont arrivés, même
Julien, absent mercredi...je parie avec ma collègue, qu'il
aura oublié son autorisation de sortie, ce précieux sésame sans
lequel nous ne pouvons prendre la responsabilité de les faire sortir
de l'enceinte de l'établissement. Pari perdu, il sort de son
cartable avec son air d'éternel ahuri le papier soigneusement rempli
et plié en deux. Il a l'air moins endormi que d'habitude …
Et nous voilà en route, jusqu'à
l'arrêt de bus du 53 qui va nous emmener jusqu'à Saint Just, d'où
nous prendrons le métro, direction La Fourragère, arrêt station
Cinq Avenues et ensuite cinq bonnes minutes de marche à pied
boulevard Foch. C'est une aventure en soi que de descendre de la
Busserine. Illustration de la double fracture nord - sud et centre -
périphérie dont souffrent plus particulièrement les habitants des
quartiers nord de Marseille…
Les immeubles sont déprimants et mes
élèves, qui le connaissent par coeur, ce quartier, leur quartier,
marchent le nez en l'air pour me faire remarquer un immeuble encore
plus déprimant que les autres, dont tout un étage porte les
stigmates d'un incendie : « je n'aimerais pas habituer là
dedans, vous avez vu, Madame ? ».
Nous n'avons pas à attendre le bus, il
arrive. Ils s'y engouffrent vivement, avec cette effervescence
légère que j'ai perçue tout à l'heure et qui m'étonne
agréablement.
J'ai le loisir dans le bus d'échanger
quelques mots avec Marie et Chaïmae au sujet de leur avenir. Chaïmae
veut faire du commerce international et Marie de la vente.
Nous arrivons en avance au cinéma, je
me suis trompée avec la fiche, j'ai oublié de la faire tamponner,
ça me servira de leçon pour la prochaine fois mais c'est bon, ça
passe quand même, ouf. Nous faisons rentrer les nôtres avant les
deux classes qui viennent d'arriver. Nous les briefons : c'est
de la redite mais ça va toujours mieux en le répétant mille fois
...pas de bonbons, chewing gum, pas de boissons etc ...C'est
d'éteindre leur portable qui leur pose le plus de souci. Extension
d'eux-mêmes. J'ai éteint le mien en partant du collège.
Ils s'installent sur les deux rangées
que nous leur indiquons, de façon étonnamment calme, et ça
contraste avec la horde suivante, qui se rue sur les sièges en
braillant. Ils en sont presque choqués, les nôtres.
Le film, c'est Persépolis. Je
ne sais pas ce qu'ils m'en diront demain, ils auront oublié et
seront passés à autre chose, avec cette effrayante rapidité à effacer qui
les caractérise tous, mais à les voir ce matin dans l'obscurité,
pas de doute, ils ont aimé, sans le formuler, sans le savoir. Ils
étaient dans le film, eux. On ne peut pas en dire autant de leurs
congénères du collège T..., qui n'ont cessé de s'esclaffer et de
ricaner.
C'est donc vrai, je le vérifie une
seconde fois ...Ils ne sont pas si blasés, nos gamins des quartiers,
on ne dit pas cités ici, qu'on ne
puisse encore les emmener voir une
belle oeuvre et en récolter cette légère et impalpable
reconnaissance, qu'il ne faut surtout pas chercher à trop exploiter
...j'ai quand même réussi, au retour, à faire parler Julien et
D...., à qui je n'arrive jamais en classe à arracher autre chose
que des rires niais pour l'un ou des dénégations furieuses pour
l'autre …
Merci Marjane et Vincent !
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