jeudi 13 février 2014

Jour de sortie



Ce petit matin de février s'annonçait, comme hier, sec, enfin.
Se lever plus tôt que l'heure habituelle, parce qu'il me faut être au collège avant huit heures. Les réveils sont de plus en plus durs, au fur et à mesure qu'on s'achemine vers la fin de la période de cours. Vacances en vue... Mais ce petit matin de février a déjà une odeur de vacances. Se diriger allègrement vers le portail, vers l'au delà de ce portail symbolique où nous attendent les élèves. Il est quelques minutes avant huit heures, et pour l'instant seuls la moité d'entre eux et d'entre elles sont là. Chaïmae fait une arrivée à la fois discrète et remarquée, elle est particulièrement soignée et apprêtée ce matin. C'est jour de sortie, ils et elles sont contents, même s'ils ne le montrent pas trop, et moi aussi. Un petit mot à Chaïmae pour lui dire qu'elle est très chic, elle apprécie d'un « merci madame » accompagné de son petit sourire de travers, la tête penchée. Pas d'agressivité chez aucun d'entre eux ce matin, on va hors les murs. Appel fini, les retardataires sont arrivés, même Julien, absent mercredi...je parie avec ma collègue, qu'il aura oublié son autorisation de sortie, ce précieux sésame sans lequel nous ne pouvons prendre la responsabilité de les faire sortir de l'enceinte de l'établissement. Pari perdu, il sort de son cartable avec son air d'éternel ahuri le papier soigneusement rempli et plié en deux. Il a l'air moins endormi que d'habitude …
Et nous voilà en route, jusqu'à l'arrêt de bus du 53 qui va nous emmener jusqu'à Saint Just, d'où nous prendrons le métro, direction La Fourragère, arrêt station Cinq Avenues et ensuite cinq bonnes minutes de marche à pied boulevard Foch. C'est une aventure en soi que de descendre de la Busserine. Illustration de la double fracture nord - sud et centre - périphérie dont souffrent plus particulièrement les habitants des quartiers nord de Marseille…
Les immeubles sont déprimants et mes élèves, qui le connaissent par coeur, ce quartier, leur quartier, marchent le nez en l'air pour me faire remarquer un immeuble encore plus déprimant que les autres, dont tout un étage porte les stigmates d'un incendie  : « je n'aimerais pas habituer là dedans, vous avez vu, Madame ? ».
Nous n'avons pas à attendre le bus, il arrive. Ils s'y engouffrent vivement, avec cette effervescence légère que j'ai perçue tout à l'heure et qui m'étonne agréablement.
J'ai le loisir dans le bus d'échanger quelques mots avec Marie et Chaïmae au sujet de leur avenir. Chaïmae veut faire du commerce international et Marie de la vente.
Nous arrivons en avance au cinéma, je me suis trompée avec la fiche, j'ai oublié de la faire tamponner, ça me servira de leçon pour la prochaine fois mais c'est bon, ça passe quand même, ouf. Nous faisons rentrer les nôtres avant les deux classes qui viennent d'arriver. Nous les briefons : c'est de la redite mais ça va toujours mieux en le répétant mille fois ...pas de bonbons, chewing gum, pas de boissons etc ...C'est d'éteindre leur portable qui leur pose le plus de souci. Extension d'eux-mêmes. J'ai éteint le mien en partant du collège.
Ils s'installent sur les deux rangées que nous leur indiquons, de façon étonnamment calme, et ça contraste avec la horde suivante, qui se rue sur les sièges en braillant. Ils en sont presque choqués, les nôtres.
Le film, c'est Persépolis. Je ne sais pas ce qu'ils m'en diront demain, ils auront oublié et seront passés à autre chose, avec cette effrayante rapidité à effacer qui les caractérise tous, mais à les voir ce matin dans l'obscurité, pas de doute, ils ont aimé, sans le formuler, sans le savoir. Ils étaient dans le film, eux. On ne peut pas en dire autant de leurs congénères du collège T..., qui n'ont cessé de s'esclaffer et de ricaner.

C'est donc vrai, je le vérifie une seconde fois ...Ils ne sont pas si blasés, nos gamins des quartiers, on ne dit pas cités ici, qu'on ne
puisse encore les emmener voir une belle oeuvre et en récolter cette légère et impalpable reconnaissance, qu'il ne faut surtout pas chercher à trop exploiter ...j'ai quand même réussi, au retour, à faire parler Julien et D...., à qui je n'arrive jamais en classe à arracher autre chose que des rires niais pour l'un ou des dénégations furieuses pour l'autre …

Merci Marjane et Vincent !

dimanche 17 novembre 2013

Les Jours Heureux


Il claque comme un drapeau rouge, ce titre. Il a un goût de cerises qu'on pourrait enfin savourer sans le sel des larmes. Ces jours heureux ont été rêvés au coeur de la tourmente par des hommes de bonne volonté, la conviction chevillée au corps et à l'âme qu'il allait falloir réparer et rendre la barbarie impossible. C'est le programme du Conseil National de la Résistance, sans lequel en 1944 c'est l'administration américaine qui aurait pris pied sur le pays miné par cinq années de guerre et d'occupation, sans lequel les gens de ce pays n'auraient eu ni sécurité sociale, ni congés payés, ni écoles, ni culture, ni transports publics …


Gilles Perret a donné la parole dans son formidable film à d'éternels jeunes hommes, ceux-là mêmes qui en furent, qui pensèrent et voulurent pour l'ensemble de leurs concitoyens et concitoyennes ces Jours Heureux. Et voilà que se déploie alors l'Histoire, qu'on nous servit tronquée. Il était bien commode pour l'actuelle droite politique, droite n'existait plus en 1944, laminée par sa collaboration, pétainisée et discréditée, de grandir la figure de celui qui fut de Londres un chef, mais qui n'aurait rien été du tout s'il ne s'était trouvé sur le territoire noyé dans la nuit noire de l'occupation nazie des hommes et des femmes foncièrement à gauche, c'est à dire habité-es par l'idée de progrès social, porteurs d'une utopie qui deviendrait réalité.
Au péril de leurs vies, ils se sont réunis, ils ont écrit ce programme, puis ils l'ont porté, ils l'ont appliqué. Comme le dit avec malice l'un de ces éternels jeunes hommes, ceux qui dans le CNR représentaient la « droite » étaient à l'époque bien plus à gauche que bon nombre de représentants de la gauche gouvernementale d'aujourd'hui.


Plane la figure, essentielle, de Jean Moulin, cheville ouvrière de l'organisation des mouvements de résistance. L'affiche, rouge, le représente, lui le préfet limogé par Vichy, homme de l'ombre, porté par cette idée qu'il fallait oeuvrer pour sortir de la nuit.


Les Jours Heureux étaient une utopie, ce fut une réalité. Mais la droite se reconstitua bien vite, les socialistes n'eurent soudain plus d'âme, le volet de l'indispensable décolonisation ne vit hélas pas le jour, et on connait la suite : d'autres guerres ailleurs, loin là-bas, le mépris pour ceux que l'ex-empire colonial n'avait pas hésité à sacrifier à la mitraille devenus ennemis à abattre...puis au détour des années 80 la prédation financière chassée par la porte revint par la fenêtre ouverte par les néo-libéraux. Denis Kessler l'annonça sans complexe : il fallait défaire ce que le programme national du CNR avait mis en place. En contrepoint à cette Histoire dévoilée au grand jour , la deuxième partie du film, qu'un peu inspiré critique de Télérama ose qualifier de « moins réussie », on se demande bien pourquoi, donne donc la parole aux acteurs politiques d'aujourd'hui. Et là éclate sous nos yeux, à l'exception de deux d'entre eux, leur nullité crasse, leur ignorance, leur médiocrité. La palme revient sans nul doute au locataire de l'Elysée : « je suis au pouvoir pour pouvoir » annône-t-il, sentencieusement. Résonnent encore à nos oreilles les propos de Léon Landini : « on avait peur 26 heures par jour. »


Faut-il avoir les mitraillettes braquées sur soi, la peur comme compagne de tous les instants, pour avoir le cran de vouloir que l'utopie devienne réalité ?




vendredi 1 novembre 2013

343 salauds, et 7 HÉROS !

 Parce qu'il écrit remarquablement bien, n'en déplaise aux chiens de garde, parce qu'il exprime fort clairement l'état de pourrissement dans lequel les politiciens de droite comme de cette soi-disant gauche laissent la république et le bien commun, il faut lire Mélenchon.
Aux 7 de Poissy, en toute solidarité.

343 salauds, et 7 HÉROS !

"Madame, ça sert à quoi de lire ?"

Ecrire est un travail. Il me vient l'envie de réactiver ce blog, pour m'astreindre à la pratique de l'écriture. Il y a du narcissisme dans la pratique de l'écriture de soi, mais aussi l'envie de faire partager, l'envie de donner à lire, donc donner à penser et à ressentir. "Madame, ça sert à quoi de lire ? "...question posée par un des mes élèves la semaine précédant les vacances, alors que j'étais allée vaillamment travailler, terrassée par une méchante trachéite. Entre deux quintes de toux, je leur avais indiqué ce que j'attendais d'eux pendant ces quinze jours : qu'ils lisent, ou du moins qu'ils commencent à lire "Histoire d'une mouette et du chat qui lui apprit à voler", tout à la fois conte et récit d'aventures, ça tombe bien, nous allons entamer cet "objet d'étude" comme il est dit dans les programmes de l'EN, et ça fait une bonne entrée en matière.
"Madame, ça sert à quoi de lire ? ". Un ami m'a suggéré cette réponse : pour vérifier ta vue. Moi, je suis partie dans une grande envolée : lire c'est voyager, éprouver, ressentir des émotions, ça fait réfléchir.
Mais faut-il encore être un lecteur ou une lectrice. Je sais pourquoi je suis (enfin !) devenue prof.

Ecrire ici pour dire les jours heureux... j'ai eu l'immense bonheur pendant ces vacances d'avoir à la maison celle que j'appelle toujours ma puce chérie. J'ai tenu pendant quelques minutes intenses à mes côtés chacun des mes deux chéris, ce mardi soir dernier où nous déambulions joyeusement sous les arcades du Vieux-Port, bras dessus bras dessous, à la recherche de Chez Madie ... De quoi me recharger avant de reprendre le chemin du collège, là-haut sous les collines.